"The future belongs to those who live in the now."

 

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AUTEUR

ALGERIENNES < NOTES DE VOYAGES +

 

A DEUX HEURES DE PARIS,

AÉROPORT D'ALGER

 

Hari Boumedienne Airport, l'autoroute vers la ville, trois voies à fleur de l'eau calme à droite où reposent de tout leur saoul les tankers en attente. Sur les pierres faisant digue, office de banc, rambardes à la fois, des groupes d'ados, sans mot dire, attendent de voir peut-être partir les cargos, approcher le ferry du soir avec ou sans parents, ou tout simplement une improbable mais animation, toujours possible. A gauche, maisons et hangars cohabitent de plus en plus blottis jusqu'à se faire ville, une grand roue toute petite, au son d'une bande le manège bigarré tourne fier de porter ses couleurs, les parents rient autant que les enfants. Image furtive, car le taxi roule vite pour la course, car souvent il ralentit ou s'arrête pour les chicanes de contrôle, policiers en bleu nuit, contrôles de vitesse, ceintures, pneus mal gonflés, sécurité, identité, vigie-pirate sans opérette. La course se poursuit sur une toile jaunie noyée dans une brume lourde grasse et chaude qui estompe tout contours comme une pièce au fusain ou bien une aquarelle à motifs urbains de bâtisses et entrepôts déposés là au cours des ages et qui continuent à mener leur vie en friche au fil des hasards. Et toujours, les jeunes, par petits groupes ou solitaires qui semblent jouer au plus fort avec le temps. C'est sûrement long d'attendre les bus bondés qui montent et descendent de la ville, long aussi d'avoir la vie devant soi. Loisir d'avoir les yeux ouverts à réfléchir à une petite affaire, derrière l'eau plate, les Peugeots d'occasion en euros, des histoires de devises, des rancœurs de visas. Il faut sortir, au moins de cette apathie devant des lendemains qui mettent si longtemps à chanter.

 

Alger, septembre 2002

LA MADRAGUE

 

Course sur l'autoroute et stop au prochain contrôle. Course sur nids de poule, suspension minimum après allumage difficile. Un moteur qui se venge et qui crie au supplice Le pare-brise découpe en zigzags le ruban devant soi en pallies inégales. Ses jours sont comptés, mais il a appris à durer. La voiture a retrouvé ses papiers volés, sinon défense de rouler et donc de s'en aller, de se lâcher le pied sans penser, de rattraper les kilomètres confisqués depuis plusieurs années. Le pied au plancher jusqu'à destination, une station sur la baie dont Tati aurait aimé les murs blancs de vacances se soutenant, s'écaillant, bien décidés à montrer ce qu'ils étaient, avant qu'ils ne se fatiguent de voir depuis longtemps toujours les mêmes gens. Quand ils n'en peuvent plus, ils laissent la place libre aux aires de stationnement, histoire de faire donner la pièce à un gardien de jour et un veilleur de nuit. La voiture est en sûreté, nous en sécurité, surveillance rapprochée, histoire de déguster, privilégiés, poissons farcis et crustacés à volonté dont on laisse la moitié aux chats des alentours et dont le prix ferait vivre ici l'étudiant durant six bonnes semaines. Retour en sens inverse et à la même vitesse, ralentir aux carrefours, un contrôle peut en cacher un autre. Non, il n'y a rien à craindre, l'uniforme rassure, mais on ne sait jamais, bien sur que ce n'est pas dangereux, mais quand même, il faut faire attention. Éviter les coins sombres, se méfier des barrages, s'écarter de la foule, aussi des rues où il n'y a personne. Les marchés de la ville et les routes de campagne.

 

Alger, septembre 2002

BAB EL OUED

 

Vous n'auriez pas du. Non, ils ne rentrent pas sur les marchés, mais les gens et leurs couffins, comment voulez-vous contrôler? Il y a quelques mois, oui c'est là, plusieurs dizaines en tout cas. Ils ne s'en prennent plus aux étrangers, mais ça frappe dans le tas et quand on est dans le tas ... Faut faire un peu attention. Vous nous auriez dit, on vous aurait.. .. Mais on ne vous aurait pas fait descendre de la voiture. Oui, hier, il y avait deux étrangers, ils sont rentrés dans la casbah. Il ne leur est rien arrivé. Non, on peut y aller, mais faut faire attention. Il est trop tard maintenant. Hier, ils ont pris deux terroristes en pleine ville. Abattus sur le champ. A la longue ils vont finir par arrêter. Il y a un an, on ne vous aurait même pas emmené là, même à Bab El Oued, on y allait jamais. Des amis qui y habitent, on ne les pas vus parfois pendant dix ans. Maintenant, vous voyez, ça va mieux, mais il faut faire attention. C'est plus la politique, c'est du grand banditisme. Ils font des faux barrages et tuent le flic pour lui voler son arme. Ça n'a plus rien à voir avec leur islamisme. Des bandits, les gens ils ont compris, mais il y en a encore qui. L'aéroport d'Alger est le plus sur du monde. Oui, mais là, vous n'auriez pas du. On ne sait jamais. Il aurait mieux valu. On aurait su, on serait venus vous chercher.

 

Alger, Septembre 2002

DAR EL BEIDA

 

C'est la première fois depuis dix ans. Même en voiture. Surtout en voiture. Mais à pied aussi. Avec les embouteillages, c'était le piège. Impossible de s'enfuir, et puis, à pied, la foule Rien ne servait de courir. Il y a deux ans, on a commencé à sortir et là, il y a eu les inondations. Des dizaines de morts à ajouter aux déjà disparus par beau temps, les officiels et ceux sans laisser d'adresse car il fallait souvent déménager pour pas les habituer. Jamais rentrer ni sortir à la même heure, aller sans broncher du point A au point B, éviter de prendre le même chemin. Le couteau est si vite arrivé. Rouillé, mal affûté, il donne la sainteté à l'assassin, un point supplémentaire pour -plus près de toi mon Dieu-un paradis à portée de main. Oui, il y a eu des inondations, le ciel qui tombe sur la tête alors qu'après dix ans on commençait à sentir l'éclaircie. Une fois de plus, la faute aux barbus. Si. On ne vous l'a pas dit dans vos journaux. Objectivement, c'est leur faute à eux, ni moutons noirs, ni boucs émissaires. Non. Affirmatif. Objectivement. Oui. A la rigueur, la faute au gouvernement. Les Français, de leur temps, ils savaient que le quartier pouvait toujours être inondé. Alors, au dessus, ils ont construit des canalisations pour que l'eau elle s'écoule direct dans la mer. Il y a dix ans, on bouché les canalisations, à cause des Islamistes qui pouvaient s'y cacher. Alors voilà.

 

Alger, septembre 2002

TERRASSE DU TONTONVIILLE

 

Un visage inoubliable. Les yeux, les cheveux et un on ne sais quoi. Un tête repérable à lui faire des ennuis, à lui coûter la vie. Déjà qu'il était l'un de ces hommes à abattre. II revoit aujourd'hui, parfois pour la première fois nombre de veufs et de veuves de ses amis. L'homme arrive, sourires en terrasse, personnage repérable. Embrassons-nous. On rit. On est heureux. Tous les regards se tournent, certains font bloc autour du mage, calme, qu'on devine racontant des histoires. Un homme de théâtre, du grand théâtre encore vide à coté, un homme à la voix douce, au rythme réfléchi, un homme dangereux qui, en passant, lance des mots qu'il faut coûte que coûte se garder en mémoire. Comme si de rien n'était. Rien d'important en apparence. Sur ton de confidence. En apparence. Noire décennie. L'homme n'a cessé d'écrire. Doublement dangereux Hommes et femmes l'étreignent, un homme des cœurs, dangereux, à abattre, plutôt dans le dos, de peur de croiser son visage à faire tomber une arme blanche. L'homme revient en sa ville à la vie. Il marche, mâchant chaque pas comme pour en jouir avec pudeur, et tant pis pour la pollution, il respire aujourd'hui l'air plus libre à pleins poumons. Furtif, il tourne parfois la tête sur le coté, un coup d'œil en arrière, comme si ... mais non, il n'y a pas de comparaison, ça s'est bien arrangé, c'est le jour et la nuit, le renouveau, quoi.

 

Alger, septembre 2002

HOTEL EL DJAZAïR

 

Place forte pour pattes blanches, ouverture du coffre, passage à 'la poêle', détection des métaux, ouverture des sacs, sas de contrôle. On ne badine pas avec les nouveaux arrivés. Pour votre sécurité. Forteresse dorée de toutes les protections Deux jours plus tard, c'est bon passez, comme si la tête du client inspirait la confiance. Djazair, ex-Saint-Georges: le vieux repère des métropolitains, mais pour certains peut-être, Saint-Georges et le Dragon sentent la provocation, la bonne vieille croisade du Bien contre le Mal : Djazair, un nid de mécréants. Mais bon, Eisenhower y a bien préparé le débarquement, de Gaulle était un habitué, il ne leur est rien arrivé. Du Djazair, on a une belle vue sur Alger et l'on hume l'air de faux palais d'antan. Vaste coffret doré aux jardins de jasmin, musique et câble à tous les étages. Service en chambre assuré. Haltes obligées au restaurant chinois, farniente sur terrasse des regards protégée. Débats d'affaires autour de nappes blanches, serviettes en oreillettes, cuisine légèrement pimentée. Rendez-vous à ne point manquer, une fois la nuit tombée. Puis, au Pacha, en sous-sol, on peut même danser à pas feutrés sur fond de musique orientale amplifiée, les murs sont isolés. La vie se coule douce ici à Alger jusqu'à ce que sous les cristaux du lustre de la salle à manger, on se mette, bien inconscient, à compter, additionner, dans le journal local tous ceux qui, en page des faits divers sont tombés, l'espace d'une journée. Et un et deux et trois. On arrive, comme cela, chaque matin, à une bonne douzaine. Faudrait les regrouper pour arriver ainsi au chiffre autorisé pour un passage dans les journaux.

 

 

Alger, septembre 2002

T'AS EU BEAU TEMPS ?

 

T'as eu beau temps? Ici il a fait. .. Il devait faire chaud non? Ils t'ont laissé repartir, vivant? ah ! Alger, Monastir, Marrakech, Club Med, du pareil au même. C'est toujours aussi blanc, la promenade. Y a du avoir du changement depuis quarante ans. C'est quoi leur monnaie déjà? Et les français, avec eux comment ça se passe? Moi je me souviens bien... etc. Camus, Tipasa, Philippeville, comment ils disent déjà? Dire qu'on aurait pu y rester! C'est vrai qu'ils nous regrettent. Etc. Et dans leurs têtes se mélangent le bleu de Sidi Bou Said, Humphrey Bogart à Casa, Les femmes d'Alger de Delacroix. Ils ont gardé le calendrier des PTT avec, à l'oasis, la femme voilée puisant son eau, le service à thé, ramené par un lointain beau-frère et qu'on se plus où il est au grenier. Et puis de Gaulle qui les avait compris et s'est mis à comprendre les autres, le bouquin du borgne général, une vieille baderne, celtes, mais comme Massu et Bigeard, il a eu le courage de... C'était la guerre, une guerre, c'est jamais propre et il y a toujours des pots cassés.

 

Ils aimeraient bien y retourner, à cause du soleil. Parce que depuis que le Français sont partis, ils s’entre tuent entre eux, comme il y a deux siècles les Indiens du Québec. Il n'y a plus personne pour remettre de l'ordre. On mange bien au moins? C'est quoi la spécialité? Qu'est ce qu'on peut ramener à part des dattes fourrées? Dans le temps, ils avaient des ... Au moins, t'es pas tombé pendant leur ramadan. Ça s'est un peu calmé chez eux ces derniers temps. A part l'autre jour, il y a eu encore une dizaine de gens assassinés, mais c'était pas dans les villes, toi, tu es resté en ville, le principal, c'est de ne pas s'éloigner. Ils vont bien finir par s'en sortir. Ils ont qu'à leur régler leurs comptes une fois pour toutes et qu'on n'en parle plus. Si c'est pas malheureux, tout ce qu'on leur a laissé là-bas, un pays comme celui-là, ils ont le soleil, la mer, vraiment tout pour être heureux? Tu m'as pas dit, t'as eu beau temps?

 

Bordeaux, octobre 2002