Belem, février 2008
Juste un bras d’Amazone jaune perdu dans les nuages. Jaune comme les nageoires de ces gros poissons de limon. Retour dans les bons gros nuages tout ronds qui se font et se défont et provoquent dans l’avion de fortes chutes de pression. Il avait plutôt bonne mine ce vieux Boeing aux couleurs vives sur le tarmac de Cayenne. De près et dedans, on sait maintenant qu’il a sûrement pas mal d’heures dans sa carcasse à qui les différentes Airs et Airways en ont fait voir de toutes les couleurs. On y a embarqué dix malheureux ( !?) Brésiliens sans papiers, tranquilles, apparemment ; ils savent que, dès demain, ils seront de retour.
On ne peut pas tout avoir. La beauté a toujours un revers sur sa médaille. Belle et bête à la fois. Même chose pour les aras. C’est sur que même comme amoureux de la nature, on aimerait bien avoir un ara chez soi. Ca met de la couleur dans la grisaille hivernale. Des tons faire pâtir tous les aquarellistes. A défaut, deux à trois plumes encadrées au milieu de salon. Mais stop, c’est défendu. Ah, l’ara…. Oui c’est beau, un ara. Mais a-t-on déjà entendu plus désagréable cri ? Indicible, mais à en crier soi même. L’un des sons les plus laids de l’humanité. Plutôt donc mourir de gris que pour deux onces de couleur, provoquer crises de couples ou querelles de palier.
Un musée botanique tombé en désuétude, décrépitude. Son bienfaiteur, le vieux Suisse riche est mort. Viviers, enclos et cages vides ou pleines d’animaux locaux. On pourra voir un jaguar. En cage, lui, encore. Car, dixit un employé, il s’agirait d’un zoo pour animaux en liberté… C’est vrai que cela surprendre de voir des feuilles bouger, se retrouver avec une iguane ou un caméléon nez à nez. L’envol d’un héron au détour du chemin, passage pour agouti. Un paresseux se balance tout en haut sur la cime d’un grand arbre. Bizarre, cette liberté ? Et si c’était plutôt des animaux échappés parce qu’on a perdu le cadenas de la cage ou que la rouille a eu raison des grilles ? A Belem, selon l’expression idiote mais consacrée, « la nature reprend ses droits ». Eaux et soleil oeuvrent de concert.
Impressionnant, le lever du soleil sur l’ile aux perroquets. 6 heures. Tout est calme sauf les deux vieilles réacs sur le bateau qui fustigent leur Maire d’avoir épousé une algérienne. Ils dorment encore. Puis un cri, un seul, unique. Puis, des milliers de cris, des milliers de couples sans enfants, avec enfants s’élancent dans le ciel, quittant leur île dortoir pour une autre où, toute la journée, ils vont se goinfrer de baies d’acaï, le fruit dont le jus donne des muscles aux bodies de Rio. Les perroquets vivent vieux. L’une des mille merveilles de l’herboristerie indienne.
On trouve de tout en Amazonie. Toutes les plantes, les sucs d’insectes, le meilleur et le pire, le lénifiant et le paralysant, le suave mortel, l’amer tonique. Les Américains ont même breveté une araignée Les labos américains piquent, volent, imitent, chimisent. L’Amazonie a de quoi nourrir le monde de toutes ses vitamines et protéines. Attention à l’exploitation. On sait ici comment on commence avec le caoutchouc et le café, et surtout on sait comment ça finit.
Non, ce ne sont pas des racontars, ces histoires de bébêtes. Oui, les fourmis-manioc mordent terriblement. Oui, la fourmi-truc, nichée tout en haut de certains palmiers pique à mort. Oui, la fourmi de 10cm a des crocs si larges que les Indiens s’en servent pour faire des points de suture, désinfectant intégré par la formique acide. Ah, par contre, on n’a pas l’anesthésiant. Oui, la guêpe mortelle pique la mygale sous le nombril pour lui pondre des œufs dont les larves rongent l’intérieur jusque mort s’ensuive, une fois le garde-manger épuisé. Oui, les piranhas déchiquètent un corps bœuf en 15 minutes. Oui, il y a un petit poisson d’un centimètre qui s’incruste dans tous vos orifices, gonfle et ronge vos tripes jusqu’à…. Eh oui. Oui, il faut faire attention aux anguilles électriques. 6000 volts. Ca décharge. Faire gaffe aussi à la queue des raies. Oui, il y a des anacondas qui vous étouffent au fond de l’eau. Oui. Les indiens marchent pied nus. Les enfants batifolent dans les eaux. Il savent eux où et quand.
Cayenne, février 2008
La France a une frontière avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie l’Espagne, le Brésil et le Surinam. La France possède des gisements d’or et une grande forêt tropicale. La Guyane, c’est pas le Guyana. Mais à Paris, tout le monde s’en fout. La Guyane, c’est le ghetto de Kourou, les tortues pondeuses, le poivre pour Ducros, le bagne pour Dreyfusards et désormais, terre d’élection pour amours présidentiels en pirogue sécurisée. On prend l’avion à Orly sans autres complications que pour se rendre à Strasbourg ou à Clermont Ferrand.
Ville morte en plein après-midi. Vue de la fenêtre d’un hôtel banal sur la rue principale. Deux bières dans le mini bar, mais on peut mourir tout de même et de faim – « Non, Monsieur, in ne sert plus à cette heure-ci » - et d’ennui rien qu’à se demander comment on va bien pouvoir tuer son temps, pourquoi on est venu jusqu’ici etc.
Et puis, tout s’anime au coucher du soleil. Tôt. Défilés organisés : lundi : les hommes en fille. Mardi, les femmes en hommes. Aujourd’hui, c’est le tour des diables. Le carnaval, toute une histoire imperméable aux ‘métros’.
Bâtis moisis, retapés avec l’aide de l’Europe. Bariolés, mais toits rouillés de tôle ondulée. Murs blancs, aujourd’hui gris souris, pissant l’humidité déversée par ses gros cumulus gonflés de flotte comme les grosses capotes qu’on remplissait à l’école. Inhospitalier, le terme n’est pas dur à trouver. La France d’ici s’ennuie. Heureusement, dans trois jours il y a la visite de Sarkozy ! Ca va créer de l’animation, permettre de refaire les routes, les peintures, au moins là où il passera. Va falloir accélérer le rythme ; il vient ici régler les problèmes de la Guyane, une demi-journée suffira. Immigration clandestine, contrôle des frontières. Il y a fort faire. Reconduites ? Un de débarqué, 10 de retrouvés. Nicolas, la forêt, il connaît pas, mais y a qu’à y a qu’à, pas plus difficile que cela.
Bleu, blanc rouge, le drapeau de la Guyane. La Guyane, c’est la France. Jaune, vert rouge, le drapeau des Guyanais, comme la Jamaïque, les couleurs de l’Afrique en Amérique française. Et les Indiens dans tout cela, ils se métissent, avec le chômage, ils n’a pas grand-chose d’autre à faire. Dreyfus non plus n’avait pas grand-chose d’autre à faire. On dit que pendant quatre ans, il regarda la mer. Surveillé par des geôliers pour qui Cayenne était aussi le bagne. Dreyfus fut sauvé. L’île du Salut ! Hasard ?
Le carnaval n’a duré que deux mois cette année. Apparemment une réelle déception. Constatation : ce n’est pas un truc de blancs. Non. Une fête qui nous échappe. Surement parce qu’on n’a rien à faire ici. Encore que. Quelle alternative ? Du Brésil ou du Surinam, la Guyane attire. Car ici c’est la France, c’est l’Europe, les allocs, on ne réduit pas le nombre de fonctionnaires, des petits mi-temps qui laissent le temps pour de petites affaires. L’or, si peu, pour les destructeurs venus d’ailleurs. Trouver une pépite, c’est comme jouer au loto. Une fin de mois assurée. En balade, on se prend son petit sac de sédiment et si, dans l’évier, on trouve un petit gramme, ça paiera la redevance télé.
Effervescence, arrivée de la gendarmerie. Préparer la visite de Sarkozy. Grand messe courte et symbolique. Avec le voisin Lula sur le pont censé limiter l’immigration. Lula lui vole la vedette. Un joli pont qui ne sert à rien. Le fleuve est large et la forêt épaisse.
La pirogue vogue sur le bras de mer navigable à 150 km l’intérieur des terres. La mangrove, la forêt, on croit s’enfoncer loin de la civilisation et on arrive sur un parking en béton. Les cascades sont le rendez vous des amoureux qui grillent en poussant à fond le son de leur 4x4. Eh oui, la route parallèle arrive jusqu’ici. Il n‘y a que des blancs dans la pirogue. Désillusion. Pas de grand frisson. Heureusement qu’il y a les livres : la faune de Guyane : serpents venimeux d’Amérique du Sud, insectes à Cayenne.
Pas de grand frisson non plus sur le marais. Une aigrette, deux aigrettes, trois aigrettes. Un héron. Ha ! deux hérons ! Heu ! Trois hérons ! Bof ! Monotone, le guide à la gueule de colon bien rôdé montre les milans à queue fourchue. Merci on avait remarqué. Ca, c’est une… C’est un.. Nom latin. D’accord. Heureusement que ce soir, à la nuit, on doit voir des caïmans. Nuit ; un tas de bruits. Métalliques. Crapauds truc. On croise une espèce de lapin rat de la taille d’un veau. L’anaconda (pas vu) adore. On n’en saura pas plus. Projecteur. Photo. Emballé. Le guide scrute la rive puis la balaye de son faisceau. Les caïmans s’enfouissent à cause de la montée des eaux. On ne voit pas plus d’yeux rouges, brillants phosphorescents que de baleines à bosse. Le guide décide, coupe les moteurs, avance dans les herbes et l’on tombe sur un croco de 30 cm. Il a 7 mois ; 50 cm, il a deux ans. On gobe. Vous pouvez le prendre ; ll ne mord pas (encore). On le prend, le masse, le triture. Photo numérique. On le relâche. On continue. Des bouts de têtes, des bouts de queue, clapotis éclaboussures. Rien vu. Rare de voir une tête et une queue à la fois. Jamais le spécimen de 1.50 m annoncé. Quant aux grands caïmans noirs, heureusement qu’il y a une repro grandeur nature, terrifiante, au Centre d’information du village de Caw. Un village créole. Ne prenez pas de photos. Ils n’aiment pas ça, sinon, vous allez entendre du créole ! Ah ah ! C’est vrai qu’on ne rentre pas chez les gens ça ! Un petit bourg bien propret, comme le village amérindien de la veille. On croirait presque que ces communautés sont réellement bien intégrées. En tout cas, merci au Conseil général. Sa devise : « embellir la vie pour toute la vie ! » La visite du marais se termine. Sur la route détrempée du retour, on écrase une énorme couleuvre verte. C’est une… nom latin. Inoffensive. On n’en saura pas plus. On n’en verra pas plus. Retour à l’hôtel. Les reptiles de Guyane : p 12 à 25. Les caïmans : p. 47 à 50.
Patrick Fischer-Naudin a écrit (à compte d’auteur, pas d’éditeur) « Traque en pas émorillon » : roman. Région. Fiction. Mais le pauvre garçon, il aura du mal à nous faire avaler que dans une seule journée de pérégrination, il se fera deux nids de mygales, un caïman qui engloutit une tortue géante, un crapaud buffle de deux kilos, un anaconda qui digère un cochon-bois etc. ou alors il y a des promeneurs qui ont un sacré bol !
Ils sont bizarres, ces Français, les expat’, les métro, les mecs qui bossent pour l’espace. Il y a le type, style mi bab mi chercheur d’or qui n’a rien trouvé, pas lavé, hirsute, t’as pas cent balles. Pas méchant, défoncé, il s’accouple facilement avec le rasta vert jaune rouge, fumette obligatoire, qui bouffe du métro entre deux tafs. Il y a le fonctionnaire qui rêve d’une sous-préfecture dans le marais poitevin. Il ne traîne pas dans les cafés, tous malfamés. Il accompagne sa femme dans le supermarché. Il y a le flic en civil, le désoeuvré de la gendarmerie (sauf en cas de visite de Sarkozy) et le mec qui vient pour ses affaires (mais attention : Chinois !). Ils bouffent du cayennais autour d’une bière en continu dans un bar au service après-vente assuré à l’étage. Il y a le papa et la maman du petit qui fabrique les fusées à Kourou ; ils rejoignent le médecin ou les veufs solitaires qui se paient un voyage exotique sans avoir besoin de quitter la mère patrie. On les retrouve tous les jours au lounge d’un hôtel Accor ou pour les tours en pirogue recommandés par le Petit Futé. Et puis, il y a les petits jeunes qui signent toutes les pétitions à l’Utopia, contre le massacre des indiens, les transport des animaux de boucherie, pour a sauvegarde des chenilles processionnaires et du bois d’acajou. Ils passent une heure à scruter les pattes d’une grenouille comme si c’était la dernière de toute l’Amazonie.